Pourquoi ce blog ?

Parce que je pense qu'un témoignage n'est jamais inutile et que plus personne ne parle de cette saloperie...


lundi 21 août 2017

Devoir mémoriel

Devoir mémoriel oblige, voici un texte d'un des mes meilleurs amis. A deux jours de la sortie en salle de "120 BpM", ça fait du bien de lire aussi ce que "les petites mains" faisaient au sein d'Act-Up.

Merci Jérôme pour cet exercice de mémoire, ce qui, dans votre cas, relève de l'exploit neuronal !!! (oups).

Et je suis tellement content que tu sois rentré chez les SPI et du bout de chemin que nous avons commencé ensemble chez les Soeurs (même si je n'étais pas très gentille avec toi, parait-il) et qui perdure aujourd'hui !!!

"Bon, je retourne le truc dans ma tête de blonde depuis quelques mois. Du coup, j'y vais aussi de mon couplet. Je suis entré à Act Up en octobre 1996, à la fin de la Martoche, pendant tout Nectar et avant l'épouvantable Cosse. Je suis entré pour de super mauvaises raisons : j'étais séronégative, tout le monde voulait coucher avec moi, surtout les vieilles, et j'étais follement amoureux d'un actupien, c'était même la raison pour laquelle j'ai adhéré.

J'étais déjà un peu conne mais on va dire qu'avec Act Up, on passe de rien à pas grand chose quand on est une pédale triomphante des années 90. Je faisais partie des silencieuses qui ne comprenaient rien en RH, qui écoutais religieusement Philippe Mangeot parce que tout ce qu'il disait avait l'air super intelligent et qui se marrais des blagues à la con de Lestrade, surtout quand il jouait avec le tampon pour effacer le tableau pendant que Cosse pérorait qu'elle était de gauche.

Bon, après j'ai essayé d'avoir une cervelle et je me suis un peu impliqué, et puis j'ai eu quelques amis, Pierre, Patrick, Stéphane, Pascale, Gérard, et d'autres perdus de vu. Et ces amis je les ai toujours. Le truc à Act Up, c'est qu'on n'y comprenait rien, on se faisait vachement suer pendant que François expliquait les traitements, et on écoutait un peu tout le monde sans trop ouvrir sa bouche. Le truc le plus essentiel de cette association, c'est qu'elle a réussi à faire quelque chose d'un peu utile à une pédale totalement insipide et décérébrée comme moi.

Déjà c'est clair, on était hyper fier avec nos t-shirts et c'était la super classe de dire qu'on connaissait des séropos, alors qu'on venait de province, faut dire, et qu'il a fallu que j'explique à ma mère que je n'étais pas dans une secte. Et puis, ils étaient durs avec nous, je ne parle pas de la grosse Cosse, elle, elle était méchante et inutile. Non, je parle des vrais malades qui nous aimaient bien je crois les jeunes séroneg d'act up, mais qui voulaient qu'on soit à l'heure, qu'on aide pour les mailings, qu'on se bouge le trou de balle un peu. Du coup, on le faisait, parce que même si on se faisait assez souvent engueuler (et ça ne se voit pas trop dans 120 BPM), on nous aimait bien. ça plaisantait, ça draguait, et on avait l'impression d'appartenir à un monde qui triomphait. Je crois que c'est ça act up, un monde qui triomphait tenu de main de maitre-ss-e par des mourants qui avaient juste envie de vivre tranquillement, pas forcément de gueuler comme des ânes. Enfin, c'est mon sentiment.

Il y avait pas mal d'invisibles qui sont passés par Act Up, et il faut se dire que ce fut une extraordinaire école d'humanité, c'était dur et âpre, on avait toujours la trouille de ne pas être pris au sérieux parce que finalement, c'était compliqué de se trouver une légitimité à ses propres yeux en allant super bien. A act up, la maladie n'avait pas l'air si grave, c'est ça qui m'a frappé le plus. C'était juste une impression, hein. Mais les gens se marraient, putain, le peu d'humour pédé que j'ai, je l'ai appris là et fructifié aux SPI, et puis ils avaient la chance de pouvoir faire la sieste quand ils le voulaient, à l'époque, j'étais à peine plus conne qu'aujourd'hui, et ça, ça me fascinait. Il faut se dire que nos préoccupations à nous, les séronég, c'était juste les mecs qui nous plantaient et éventuellement le dernier Mylène. Mais même ça, ils nous écoutaient. Bref, on bossait et on apprenait. C'était un monde unique, tu claquais la bise à tout le monde et du embrassait les mecs qui voulaient coucher avec toi sur la bouche, ça m'avait frappé ça. Act Up, c'était évidemment politique, mais il n'y avait pas forcément un parti qui devait avoir la primeur, il fallait piger quelque chose au Sida, il fallait comprendre que ce truc était toujours là et qu'il bousillait la plus belle chose qui existe et qui fait qu'on est au monde : l'espoir. 

Je faisais partie de ces invisibles et suis resté deux ans, le film m'a juste bouleversé, parce qu'il m'a rappelé ces gens que j'écoutais et qui ne sont plus là, je me souviens de Lionel, qui a un jour dit "et si on parlait aussi d'amour", quand les excités du fond de la RH voulaient se jeter sous un car de CRS. Je pense souvent à Lionel, qui avait signé son contrat de bail en entrelaçant sa signature avec celle de son mec, c'était tout ce qu'on pouvait faire à l'époque du CUS. Oui, le truc des militants, d'où qu'ils viennent, c'est juste qu'on ne doit jamais, mais jamais oublier de parler d'amour.

Après il y a eu les Soeurs, et là, ce fut juste l'expérience la plus inouïe de ma vie. Et aujourd'hui le sport pédé (vous fâchez pas les filles, pédé, c'est générique). C'est un peu chiant la FSGL, parce qu'on a oublié d'où on vient ; faut dire qu'on s'est farci une présidente aussi méchante et insipide que la grosse Cosse... Il faut se dire aussi que c'est le sport qu'on doit complètement changer : on doit avoir des équipes mixtes au foot, à 8, 9, 10 ou autres, on doit jouer avec des vieux, des malades, on doit faire en sorte que chacune puisse vivre pleinement ce pour quoi il est au monde : être là, pleinement soi. Finalement, on devrait se bagarrer pour ça au lieu d'attendre qu'un joueur de foot dise qu'il aime se faire enfiler...

Act Up m'a pris trop tôt, mais ce fut une extraordinaire école de vie, de rire, de joie et d'amour.

Voilà, ce texte trottait dans ma tête depuis longtemps. Je le relis et ne le trouve pas terrible, mais ça fait du bien.

Aujourd'hui, je suis devenue une connasse un peu macronasse qui n'a jamais voulu hurler qu'elle était séropo parce que bon, ce n'est pas de ma faute si je ne suis toujours pas séropo. Je ne voulais pas faire style, comme la Patouillard, que je souffrais aussi, parce que je ne souffrais pas vraiment, moi. Et je me marre toujours quand des collègues de 10 ans de moins que moi m'expliquent que c'est super important de militer et de se battre pour avoir plus de papier dans la photocopieuse... Et je sais aussi pourquoi je me fais chier aux COFED de la fsgl au lieu d'être avec mon mec qui pardonne tout.

Mais j'ai appris que d'autres souffraient, et que militer, c'est juste faire en sorte que d'autres souffrent moins et puissent avoir les mêmes jolies choses que nous. Si j'avais été plombée en 1996, je n'aurais peut-être pas rencontré les personnes merveilleuses que j'ai rencontrées aujourd'hui, je n'aurais jamais connu tout cet amour qu'on me donne depuis plus de vingt ans et que seuls les pédés ont su me donner.

Act Up était une école extraordinaire de la vie, jamais chiante (alors que l'inter ou la fsgl, mazette, quel manque d'humour..), on ne tripotait pas nos portables, seule la grosse Rachel avait un bibop, on était obligés d'écouter et de mater.

Voilà, j'avais tellement envie d'écrire ces lignes.

Je ne suis toujours pas grand chose, mais ce pas grand chose là, je le dois aussi à ces gens qui sans doute n'ont jamais trop remarqué que j'étais là... quelque part au milieu de l'amphi des beaux arts."

Jérôme Walczak-Capelle

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